Prostates

touche-pas-logo-435cd

  • Il y a une vingtaine d’années

Visite à domicile. Mme B. ,que je suis régulièrement au cabinet pour sa polyarthrite rhumatoïde, m’a appelé pour son mari que je ne connais pas.

Dans l’entrée, avant de me conduire auprès de son époux, Mme B. me confie : «  vous savez la dernière fois qu’il a vu un toubib, c’était à la médecin du travail chez Renault… Depuis il a toujours refusé de se faire suivre. Il a 87 ans. Il n’est pas très « docteurs »…

Lorsque je monte à l’étage de ce petit pavillon je suis accueilli par une salves d’insultes :

« B…el ! Tu l’as appelé ! J’ai pas besoin de charlatans, de soins, laissez moi tranquille ! Sortez ! Laissez moi crever tranquille»

Mr B. est un grand homme, aux larges épaules, manifestement très essoufflé, il tente de se relever pour faire face à l’intrus que je suis et le chasser manu militari, mais épuisé il finit par s’adosser à nouveau sur le traversin. En position semi-assise il cherche son air, il transpire, il est cyanosé, ses membres inférieurs sont oedématiés…

J’apprends qu’il est essoufflé depuis une semaine, que ses jambes sont gonflées depuis une quinzaine, que jusqu’à présent il vivait sereinement, jardinait, lisait et surtout restait éloigné des médecins …

Après de longues discussions, négociations, je « réussis » à hospitaliser Monsieur B…

Monsieur B mourra 3 jours plus tard à l’hôpital d’une tamponnade cardiaque sur probables métastases péricardiques d’un cancer de la prostate… PSA supérieurs à 1000…

Monsieur B avait probablement raison, il a vécu sans toubibs pendant 87 ans et aurait pu mourir à domicile si le jeune doc et sa famille avait été courageux… Et avec le recul je suis humainement convaincu qu’il avait bien fait de ne pas faire doser les PSA, même si c’est cette maladie qui l’a emporté.

  • Il y a 18 ans

Mr P. a 52 ans. Le jeune médecin que je suis lui découvre un cancer de la prostate. Opération. Erections seraient OK. Continence OK. PSA indosables depuis 18 ans. Tous les ans m’offre une bouteille de Porto.

  • Il y a 16 ans

Mr S. me consulte pour la première fois. Il a du mal à pisser depuis quelques semaines. PSA 50. Cancer Prostate. L’urologue consulté lui propose un traitement hormonal : castration chirurgicale. « c’est moins cher que le traitement par piqure »lui a-t-on expliqué. Les PSA ont chuté, la miction s’est normalisée. 5 ans après les PSA remontent. Traitement hormonal par injection ; Patient perdu de vue ensuite.

  • Il y a 15 ans

Je surveille Mr T. pour son HTA. Il va prendre dans quelques semaines sa retraite et son taux de PSA que je dose annuellement a dépassé le seuil autorisé… Je le confie à un urologue, les biopsies sont positives. Il est opéré : une prostatectomie radicale. Pendant 5 ans ses PSA resteront indosables. Aucun troubles urinaires mais une impuissance totale malgré tous les moyens utilisés qui le rendra malheureux mais résigné. 6 ans après les PSA remontent très rapidement. Hormonothérapie. Plus de libido ( plus d’envie) donc les troubles de l’érection le gênent moins. Et d’après ses mots : «  Et madame s’en fiche. Avec ce traitement on est enfin en phase ».

Les PSA descendent un peu puis remontent en flèche. Il vient me voir pour une diplopie (il louche). Scanner cérébral : métastase  du cancer prostatique. Radiothérapie, Chimiothérapie. Efficacité quasi nulle.

Mr T. part courageusement du cancer de la prostate 1 an plus tard.

Je ne suis pas sur que l’opération initiale lui ait augmenté sa « survie ».

  • Cette semaine :
  • Lundi

Mr  N. vient me voir semestriellement. Nous sommes maintenant de vieilles connaissances, et il se confie à moi sans détours. Sa tension artérielle est parfaite, son traitement sera reconduit. La prothèse de hanche posée il ya deux ans lui a redonné une autonomie de marche salutaire. Sa biologie est dans les normes… Et son taux de PSA à 0.0007…. Monsieur X s’est fait opérer d’une prostatectomie radicale il y a maintenant 3 ans pour un cancer de la prostate, à 75 ans …. Suivi par un urologue depuis 30 ans, pour une prostatite chronique, le taux de PSA avait monté progressivement cette dernière décennie, et le taux de PSA libre qui a été ensuite rajouté à cette surveillance avait chuté… Il m’en avait parlé, je lui avais fait mon discours habituel sur le dépistage outrancier du cancer de la prostate, les dérapages, le risque de l’engrenage infernal dans lequel statistiquement il avait de fortes risques de tomber, la faible mortalité par cancer de la prostate, les effets secondaires, l’incontinence, les troubles de l’érection…en vain.

« Oui, quelques fuites lorsque je suis fatigué, en fin de journée ou lors de certains efforts, mais c’est tout à fait acceptable, j’achète les protections au supermarché. Les érections ? Les injections marchent très bien, mais madame est peu demandeuse, voire pas du tout,  et tout à fait entre nous, elle a profité de cette intervention pour mettre notre vie sexuelle entre parenthèses…ne lui en parlez pas…Donc en trois ans j’ai du essayer deux fois…ça fait bien 2 ans et demi maintenant… Vous savez j’ai le sentiment que j’ai sauvé ma peau. J’étais hésitant, mais quand j’ai pris ma décision, l’urologue ma tapé sur l’épaule et m’a dit, « vous faites le bon choix, après vous serez tranquille«   et  je ne regrette pas mon choix » 

  • Mardi.

Mr Jerôme G . 62 ans. Un DNID depuis la quarantaine, bien équilibré. Pas de complications de son diabète. Malgré mes réticences, Mr G a exigé des dosages annuels de PSA depuis l’âge de 50 ans. Ou pour être plus clair, sa femme a exigé qu’il en fasse. Bien entendu, j’ai plusieurs fois expliqué les tenants et aboutissants de ce dépistage. mais le poids de l’angoisse, des messages presque culpabilisant de la famille… Et les PSA ont grimpé… L’urologue a été consulté… « Biopsie »… Dans le suites immédiates Mr G a fait une méga prostatite à 40° avec frissons et état général très altéré dans les suites de cette biopsie. Pas complètement étonnant, c est une complication fréquente, et les infections urinaires et le diabète vont souvent de paire… Bref, la biopsie est +. Gleason 6. Une fois résolu cette épisode de complication infectieuse, nous avons pris le temps de refaire un point. Le chirurgien urologue a proposé un chirurgie radicale d’emblée en expliquant «  Vous êtes sur que vous serez guéri »… Sur ma suggestion, une surveillance active a été mis en place pendant 1 an, contre l’avis péremptoire de son épouse…Ce soir, Monsieur G m’annonce pendant la consultation qu’il a pris sa décision, son chirurgien pense le guérir, cette surveillance-épée-Damoclès l’use, et sa femme le tanne, ainsi il est prêt à prendre les risques des effets secondaires, la date a été prise dans un mois…. « je le fais pour ma femme, pour ma fille »

  • Mercredi

Monsieur Alain R. vient pour renouveler son traitement antiagrégant plaquettaire post infarctus. 65 ans. Il a été opéré d’un cancer de la prostate il y a 7 ans. Mr R. ne m a pas consulté à l’époque, et était suivi par de nombreux spécialistes imminents dont un urologue. « Le Viagra/ Cialis ? Zéro ! Les injections, oui parfois ça marche un peu, mais c’est pas naturel… »  puis il conclue en disant «  Vous savez Docteur, je ne sais pas ce que les autres hommes dans mon cas disent, mais pour moi c’est une vraie mutilation ».

  • Jeudi

Je consulte un de mes confrères MG dans le cadre d’un certificat médical.

-Vous êtes né en 68 ? J’avais 20 ans à l’époque me fit il remarquer.

Consciencieux il passe en revue les différents appareils. Nous nous arrêtons sur l’appareil uro-génital et la conversation dérive sur nos exercices respectifs…

Vous savez, lui dis je, dans mon exercice médical, j’ai le sentiment, par mon attitude médicale et le  dosage régulier des PSA, au début de ma carrière, d’avoir fait opérer inutilement bon nombre de mes patients de cancer de la prostate. Depuis certains urologues…

– Sujet très controversé ! Certes il faut raison garder pour nos vénérables anciens, mais de mon côté je continue à faire ce dosage et cherche à dépister précocement surtout entre 50 et 60 ans

-Certes le sujet fait l’objet de nombreuses discussions au sein du monde médical, mais nos urologues semblent refuser les informations récentes, les recommandations de la HAS, d’autres pays , et pour ma part je prends le temps d’expliquer au patient les conséquences de ce dosage, et de l’engrenage infernal dans lequel il se lance s’il me demande la surveillance de ce marqueur biologique.

-Vous savez, je pense avoir décelé de nombreux  cancers de la prostate, souvent à un stade précoce. Chez mes « jeunes » la surveillance active aboutit malheureusement à 100% à une sanction chirurgicale au bout de quelques mois, les PSA montent, les biopsies et les scores de Gleason évoluent, et l’angoisse du patient et de sa famille …

– D’où l’engrenage …

– Vous savez, j’ai diagnostiqué bon nombre de cancers de la prostate, et le seul que j’ai négligé et découvert tardivement c’est le mien. J’avais 58 ans. Gleason 9. C’est curieux je m’étais toujours dit que si j’avais un pépin de ce type, malgré mon expérience professionnelle, je me supprimerais. Et puis finalement, non, j’ai avancé, j’ ai lutté : J’ai subi une prostatectomie radicale. Une des marges chirurgicales sur 1mm2 était limite. Il restait donc des cellules. 2 ème Chirurgie, pour curage ganglionnaire. Puis radiothérapie et quelques séances de chimio et une hormothérapie. Celle ci a été arrêté il y a 2 ans et j’ai retrouvé des érections avec des injections de caverject, mais je n’ai jamais retrouvé de continence. C’est très dur moralement. L’an dernier je ne supportais plus cette incontinence urinaire, qui ne régressait pas malgré la rééducation et le temps. Alors je me suis fait poser un sphincter artificiel. Comme la zone était très remaniée par la chirurgie et fragilisée par la radiothérapie ce sphincter a du être placé sur l’urètre bulbaire. Cela fonctionne très bien, mais l’ érection n’est plus possible malgré le caverject, du fait de la fuite veineuse induite par ce dispositif. Mes PSA sont quasiment indosables et j’espère être guéri. Vous savez je ne regrette pas mon choix, même si j’ai du renoncer à beaucoup de choses. Et mon métier, ma famille m’aide beaucoup.

 

  • Vendredi.

Mr R a 65 ans. Il vient me voir pour renouveler son traitement antidépresseur. Il a été hospitalisé en Psy il y a un mois pour Tentative de Suicide. Dans ces doléances, revient ses troubles de l’érection. Depuis 15 ans que je l’ai fait opéré, il n’a jamais récupéré de sa chirurgie pour cancer prostatique. Viagra, Cialis ET injection ET Vaccum inefficaces. Se résout ce jour à tenter les implants…« Vous comprenez Docteur, au début on est sidéré, on a la trouille, on a un crabe dans le ventre, on ne veut qu’une chose c’est sauver sa peau. Et puis après les mois passent, les années passent, la peur disparait et les conséquences deviennent douloureuses, voire insupportables, insurmontables… d’où mon geste… c ‘est con je sais…mais… »

 ——-

Avec les années, le recul, je suis pleinement convaincu que le dosage régulier des PSA et/ou TR pour dépister précocement les cancers prostatiques, tels que l’on me l’a enseigné, et avec les traitements proposés actuellement, est une erreur, qui conduit à des sur-traitements toxiques ou dangereux, et avec un faible impact sur la mortalité.

Au quotidien je m’efforce de prévoir des consultations suffisamment longues pour expliquer ce point de vue, d’imprimer des documents, adresser des liens internet, et de laisser le patient éclairé décider. Cependant, la force de conviction de certains urologues, la désinformation et/ou la déformation des données diffusées par certains labos,  la peur familiale ont souvent raison de ma démarche. Démarche récente, trop récente, car il y a quelques années, malgré moi, je n’ai pas respecté le « primum non nocere »…

6 réflexions au sujet de « Prostates »

  1. Il y a les dogmes…. puis la pratique des MG de terrain dont le partage est plus qu’indispensable…
    Merci pour ce partage éclairant, beaucoup plus que certains cours universitaires… pas tous, mais certains.

  2. Ping : Prostates | Jeunes Médecins et Mé...

  3. « Madame s’en fiche », « Madame est peu demandeuse », « Sa femme a exigé », « l’avis péremptoire de son épouse », « sa femme le tanne ». Ce billet m’a fait mal. Je ne doute pas que vous ayez transcris fidèlement la parole de vos patients. Ce sont des hommes et je n’imagine pas l’un d’entre eux vous dire « Ah, sur le plan sexuel, j’avais des érections très difficiles avant l’opération et, pour être sincère, je n’avais plus vraiment envie, j’ai fait quelques essais de piqûres mais c’était désagréable et même douloureux. Mon épouse ? Après presque 40 ans de mariage,c ‘est pas maintenant qu’elle va prendre un amant. Quand elle s’agite un peu dans le lit, je préfère faire semblant de dormir et ne pas savoir… » Et pourtant… !
    Alors, s’il vous plaît, n’oubliez pas, ce sont des hommes qui vous parlent ici et ils parlent à leur médecin homme. En face de vos patients, et de vos patientes aussi, n’oubliez pas que vous êtes aussi un monsieur de sexe masculin avec un zizi de garçon.

    • Bonjour. Bien vu!! Je ferai un jour un retour d expérience/ témoignage féminin (épouses d homme concerné par cette pathologie) sur ce que j ai recueilli, en sachant en effet que le médecin homme que je suis n aura surement pas eu la même expérience qu un médecin femme.
      Merci

  4. Ping : Carte vitale et tiers payant | toubib92

Répondre à toubib92 Annuler la réponse.